Melville Tilh-Pluñvenn revient sur la place de Notre Crépuscule qui vient clôturer une sorte de tryptique commencé avec Bois Dormant et L'INSURRECTION.

« Au début, il y a eu Bois Dormant. Je dis au début, mais Bois Dormant n’est pas mon premier jeu ; j’avais déjà publié Sur les Frontières, Summer Camp et Aux Marches du Pouvoir, notamment. À vrai dire, quand j’ai écrit Bois Dormant, je me disais même que ce serait peut-être mon dernier jeu de rôle. J’avais l’impression d’avoir fait le tour de quelque-chose. Il faut croire que je me trompais.

Au début, donc, il y a eu Bois Dormant. Un jeu qui parle de difficulté et d’espoir, un jeu qui parle d’apprendre à se pardonner, s’aimer et se faire confiance, un jeu infusé de réflexions sur l’effondrement écologique du monde, sur la politique comme organisation de la vie collective et puis sur les territoires pirates comme a pu l’être la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Ce n’était pas mon premier jeu nourri de pensées politiques, mais c’était celui dans lequel - je crois - c’était le plus manifeste. Je l’ai écrit en 2018, il est sorti chez Jydérie en 2020 ; début 2021 je m’attelais à L’INSURRECTION. Pas le même éditeur, pas la même approche, pas les mêmes mécaniques et pas le même sujet, et pourtant il m’a été évident que les deux jeux étaient reliés. Là aussi, on parle de politique, là aussi, on s’efforce de le faire avec le moins de manichéisme possible. Bois Dormant magnifie l’espoir qu’on puisse faire mieux ensemble malgrés les obstacles externes et internes, L’INSURRECTION souligne la complexité des moments d’embrasement, les contradictions internes de chaque partie prenante, l’entrelacement infini des histoires individuelle et de l’Histoire écrite par les grandes institutions. L’INSURRECTION est rouge comme le feu et la colère, elle répond en quelque sorte au verdoiement de Bois Dormant.

Si je pensais Bois Dormant comme une proposition unique et autonome lors de son écriture, il a été pour moi évident très vite qu’il y aurait une troisième couleur après L’INSURRECTION. Une troisième émotion suscitée par la course du monde et ce que j’y entrevois. Il y aurait du bleu, le bleu de cette tristesse mélancolique qui ne me quitte pas plus que l’espoir ou la rage.

On pourrait faire mieux.

Mais c’est si difficile.

Et peut-être, peut-être qu’on n’y arrivera pas.

Et quoi alors ?

Notre Crépuscule, c’est un récit sans échappatoire. C’est un monde qu’on ne sauvera pas, parce qu’il n’y a pas de remède. C’est le moment où l’on remplace la question “comment on s’en sort ?” par la question “qu’est-ce qu’on fait du temps qu’il reste ?”

Alors non, ce n’est pas joyeux, et il me semble même tout à fait compréhensible qu’on ait la tentation de détourner le regard. C’est compliqué de faire le deuil du futur. Même s’il s’agit de fantastique, même s’il y a des créatures magiques et de la sorcellerie, ça nous confronte aussi. Mais moi j’ai besoin de ça, en plus du reste. De garder en moi le vert, le rouge et le bleu, pour composer un rapport à mon environnement engagé, lucide et solide.

Aucune d’entre nous n’est immortelle et j’ai l’impression que l’on gagne à s’interroger sur ce que l’on va faire du temps qui nous a été imparti avant la fin. Si certains des récits que j’ai pu proposer vous donnent à ressentir, à réfléchir, à vouloir, j’aurais l’impression d’avoir fait bon usage du mien. »