Bourse d'aide à la création Dystopia : Léo Henry vous parle - 2
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Lauréat de la première bourse d'aide à la création Dystopia, Léo Henry fait un point sur son projet.
Petit saut dans le passé :
"24 septembre 2019
Quand je me suis lancé dans l'écriture de la bédé "Rainbow Mist" il y a dix ans et le pouce, j'ai expliqué à un copain qui m'interrogeait : "je bosse autour du jazz et des années 60". "C'est cool, il a ironisé, c'est exactement ta spécialité." Et, en effet, je n'y connais à peu près rien au jazz, et encore moins aux années 60. J'ai remis le même genre de couvert avec "Hildegarde", le douzième siècle, les bénédictines, le Saint-Empire tout ça... Et j'en suis là, une fois encore, avec "H.G.O".
Ce mois de septembre, j'ai commencé (je commence) la doc. C'est la phase d'élagage, qui consiste à épuiser des rayons de bibliothèque, moitié au pif, moitié systématiquement, à lire des livres in extenso ou en diagonale, à prendre des notes, à compléter sur Internet, puis à recommencer. Ma cote Dewey du moment c'est 982, histoire de l'Argentine. Le cœur obscur de mon sujet : l'ESMA, Buenos Aires, 1978.
Mais ni l'espace ni le temps ne se laissent facilement réduire. J'ai du 16e siècle dans ma besace, des migrations allemandes et de la guerre asymétrique, de la poésie épique. J'ai des livres de fiction autour de l'articulation SF / politique / récit vécu, j'ai Jack London et Kurt Vonnegut, j'ai pas mal de bédés. Je me contente pour l'heure de déblayer, et c'est une des choses que j'aime le mieux au monde. C'est d'ailleurs sans doute pour ça que je me lance tête baissée dans ces histoires auxquelles je ne connais rien : une excuse pour traîner à la bib et en ligne, pour voyager, aller à la rencontre de gens étranges ou captivants. (Une excuse, aussi, pour ne pas m'intéresser à tout le reste de ce qui m'intéresse.)
Seul bémol dans cette ivresse livresque de "H.G.O." : je m'étais aveuglé sur la dimension *sérieuse* du projet. Après quelques erreurs de dosage - les témoignages sur les camps de torture sont un matériau redoutable, envahissant, choquant - j'aborde avec un peu plus de prudence le cœur de cette histoire. La "guerre sale" est plus vivante que je ne l'avais consciemment pensée. Ces premiers coups de pioche m'ont rappelé Sísifo, notre créa autour de la guerre civile espagnole menée avec luvan : les inquiétudes, les tâtonnements sur les méthodes de travail. J'avais été frappé, lors de nos entretiens à Madrid avec les historiens, de l'actualité de ces événements 80 ans après, leur survivance non seulement dans les mémoires, mais aussi dans les imaginaires et dans les corps. Pour l'Argentine et cette page historique que je scrute, 40 ans seulement ont passé. Les survivants et les bourreaux vivent ensemble, aucun récit n'est clos, le cauchemar n'est pas circonscrit. Et, là encore, ça dépasse les limites temporelles et géographiques. L'Argentine de Condor a bénéficié de la discrétion sinon de la complicité de la France de façon très officielle. De même qu'il y a eu les NDH et les réfugiés à Paris, il y a eu les anciens de l'OAS et les professeurs de torture de l'école américaine. Un nœud, ici.
Voilà pour le petit coucou du fond de ma cave. Je vais continuer à creuser quelques mois avant de penser à la forme du récit. J'irai sans doute en Argentine à la fin du printemps 2020. Et vous tiens au courant si je trouve un filon, un trésor enfoui ou, qui sait, un réseau souterrain pour m'évader."
Très vite un nouveau billet histoire de savoir ce qui a avancé depuis septembre...